Quels enseignements pouvons-nous tirer de la récente victoire légale de la Nation Sioux de Standing Rock ?

7 Avr 2020

Quels enseignements pouvons-nous tirer de la récente victoire légale de la Nation Sioux de Standing Rock ?

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Il existe diverses pandémies, certaines sont virales, d’autres néolibérales. Ces dernières sont aussi parfois fatales, et parfois elles peuvent être vaincues par les mouvements de résistance, pour que la vie s’impose. Récemment, la nation Sioux de Standing Rock a gagné contre le Dakota Access Pipeline, DAPL, devant la Cour Fédérale. Le tribunal a validé tout ce que la Nation Sioux a fait valoir contre le DAPL.

D’abord, il y a eu la force de l’industrie pétrolière, puis les projets de construction d’oléoducs, puis l’oléoduc Dakota Access Pipeline, DAPL, a été conçu pour transporter du pétrole, issu des champs d’extraction par fracturation hydraulique, du Dakota du Nord vers l’Illinois, avec en prévision un flot de 450 000 barils (71 544 282,7 litres) par jour. En 2016, le Corps des ingénieurs de l’armée américaine (USAGE) a approuvé le projet en utilisant un outil légal « le permis national 12 » qui permet d’examiner de tels projets sans évaluation complète et sans évaluation approfondie de l’impact environnemental. Le tracé de l’oléoduc traversait de nombreuses terres sacrées de la nation Sioux. Il devait également passer sous le fleuve Missouri, principale source d’eau pour la population locale. Les compagnies pétrolières ont sont passées maitres dans l’art de faire des profits à tout prix. Elles sont également connues pour leur bilan désastreux en matière de sécurité, avec des millions de dollars dépensés en amendes et en réparations. Par exemple, la principale société de la DAPL, Sunoco Logistics, a versé plus de 53 millions de dollars pour dommages matériels entre 2006 et 2016. Pendant ce temps, la terre et l’eau ont été polluées, rendant la population locale malade.

Pour la nation Sioux située dans le Dakota du Nord, les dommages environnementaux et le mépris des droits des autochtones venant du DAPL étaient inacceptables. Ils se sont opposés aux actions des industries pétrolières et de leurs investisseurs financiers, qui allaient menacer la vie, soulignant le caractère inéducable de la pollution de l’eau et son impact sur la région toute entière.

Les femmes Lakota se sont rapidement organisées pour défendre la vie contre la menace de l’oléoduc qu’elles ont renommé le serpent noir. Plusieurs sites de résistance furent établis comme le camp Sacred Spirit et le camp d’Oceti Sakowin près de la réserve de Standing Rock. Ces sites ont vu le plus grand rassemblement de la nation Sioux depuis celui de Little Big Horn en 1876. De nombreux activistes et partisans non autochtones se sont rassemblés avec les Amérindiens pour résister à la construction de l’oléoduc. Cette lutte a attiré l’attention internationale, et de nombreuses autres nations autochtones, par solidarité, ont afflué du continent pour rejoindre ce mouvement.

Des femmes, des hommes et des enfants Lakotas accompagné.es de manifestants venant de tous les coins du globe, ont montré au monde la force de résistance venant de la formation d’une coalition inspirée. Ils elles se sont opposé.es aux stratégies de voyou de l’industrie pétrolière et de ses alliés financiers, en exprimant leur révérence pour leur environnement avec la puissance de leurs invocations spirituelles et de leurs prières pour la défense de « Mother Earth » (la mère terre). Les mots Mni Wiconi, l’eau c’est la vie, grondaient depuis les camps, des mots sacrés qui ont métamorphosé les manifestants en protecteurs de l’eau. Le battement de leurs tambours était en rythme avec le battement du cœur de « Mother Earth ». Les protecteurs de l’eau faisaient stoïquement face à la police et aux milices en uniforme bien armées pour blesser les défenseurs de la vie, apparemment peu préoccupées par les questions environnementales.

La nation Sioux a parallèlement combattu la décision de USAGE d’autoriser l’oléoduc devant les tribunaux, demandant l’annulation du « permis national 12 ». Ils ont écrit au président Obama qui a d’abord renoncé à la construction de l’oléoduc Keystone, un autre projet dangereux, puis, a, prestement, retiré le permis pour le DAPL avant de quitter la présidence.

Après son intronisation, Donald Trump a signé un mémorandum pour faire évacuer par la force si besoin les camps de résistance au DAPL, afin de laisser le champ libre à la construction de l’oléoduc DAPL. L’ultimatum stipulait que l’évacuation totale des camps devait être effective le 22 février 2017. La menace était grave. Donald Trump ressemblait plus à un prédateur qu’à un président.

Avant de quitter les sites, les 18 et 19 février, la cérémonie traditionnelle « Honorer nos grands-mères » a été organisée. Cette cérémonie a trouvé un écho dans de nombreux sites autochtones des Amériques.

L’invitation à « Honorer nos grands-mères » était claire :

« En tant que femmes des nations souveraines, de la terre et de l’eau, nous avons eu l’honneur de prendre soin de la terre, de l’eau et de tous les êtres vivants qui s’y trouvent. » « Nous accueillons les femmes de toutes les nations et de tous les âges à se rassembler pour ce temps spécial de prière, d’enseignement et d’unité ici à Standing Rock, en tant que mouvement puissant pour reconnaître le caractère sacré d’Unci Maka, de Mni Wiconi et des grands-mères vivantes de Oceti Sakowin ».

« Le lieu n’a rien à voir avec la façon dont nous prions. Nous allons continuer à nous battre contre ces grandes compagnies pétrolières même si nous devons nous battre pour le reste de notre vie », a déclaré l’une des participantes, une grand-mère engagée dans la défense de la vie et de l’avenir des enfants. 

Et c’est ce qu’elles ils ont fait !

La victoire des Sioux devant la Cour Fédérale devrait être une source d’inspiration pour beaucoup de ceux qui se battent pour la justice. Aucun « compromis pragmatique » n’a été accepté. Le message autochtone est clair et net : si la vie est sacrée, alors le sacré doit prévaloir. Un sentiment de solidarité s’étendant au-delà des tribus a apporté la victoire sur de nombreux fronts. Avant cette décision, les avocats autochtones avaient fait pression sur les banques étrangères qui avaient investi dans la construction de l’oléoduc pour qu’elles retirent leur soutien.

En ce moment de crise virale mondiale, née de l’insouciance de la mondialisation néolibérale, il est peut-être temps de tirer quelques leçons de ce combat pour la préservation de l’eau donc de la vie, comprenant que l’eau est la vie.

Le président de la nation Sioux de Standing Rock, Mike Faith, a déclaré : « C’est avec humilité que nous constatons que les mesures que nous avons prises il y a quatre ans pour défendre notre terre ancestrale continuent d’inspirer des conversations nationales sur la façon dont nos choix affectent, en fin de compte, cette planète. Peut-être qu’à la suite de cette décision de justice, le gouvernement fédéral commencera lui aussi à comprendre, et commencera par nous écouter lorsque nous exprimons nos préoccupations ».

Il faut opposer ce message d’espoir aux décisions prises par les impitoyables du néolibéralisme au pouvoir. À la mi-mars, les gouverneurs du Kentucky, du Dakota du Sud et de la Virginie occidentale ont signé des lois visant à donner plus de pouvoir aux États pour protéger l’industrie pétrolière et réprimer les protestations contre les oléoducs et gazoducs et autres infrastructures qualifiées de « clés » ou « critiques ».

Nous sommes à la croisée de deux visions de la même crise. Dans l’une, le système impitoyable – avec ses projets destructeurs engendrant des impacts dévastateurs tels que la déforestation, l’extinction de 60% des espèces, le changement climatique, l’élimination des services publics pour le bien commun, la résurgence de régimes autoritaires au service d’intérêts particuliers – arrivera enfin à un changement de paradigme. Dans l’autre, la vision néolibérale délirante et court-termiste persiste. Cette dernière peut fonctionner jusqu’à ce que le changement climatique et/ou un autre virus et/ou pollutions au pétrole brut, remettent en cause le non-sens néolibéral.

Peut-être est-ce le moment de tirer les leçons du combat acharné et sans compromis des Sioux de Standing Rock et de leurs alliés pour la source de la vie.

Crédits photos : Taylor Ruecker, Janine Robinson