Ménopause : la fabrique de la femme vieillissante 2/2

25 Mar 2018

Ménopause : la fabrique de la femme vieillissante 2/2

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Le titre « La fabrique de la femme vieillissante » indique qu’une force extérieure va déterminer l’âge de “la femme”, nous pouvons penser que cette force est une expression du sexisme. Bien que les femmes aient encore de nombreuses années à vivre après la cessation des règles, cette période a coïncidé mythologiquement avec la fin de la vie active des femmes et synonyme de déclin irrémédiable. Le concept de “la femme” vieillissante est inséparable de la fonction reproductive qui définit la femme fondée sur un mythe plutôt qu’une expérience.

Et puis la science découvrit les hormones.

Les hormones sont des messagers que l’on trouve dans les plantes et les animaux. Elles sont composées de molécules venant d’origines variées. Elles transportent un signal qui va déclencher différentes actions générales ou des actions sur des organes cibles.
Le concept d’hormones apparaît au début du 20ème siècle et bien vite certaines recherches s’orientent vers les femmes et leurs ovaires construisant la sexualisation des hormones. Depuis les années 1870 on assiste à une certaine banalisation de l’ovariectomie. Les ovaires deviennent matériel de recherche facile et peu cher. Et puis, il est toujours plus « facile » de retirer les ovaires d’une femme que les testicules d’un homme.

Nelly Oudshoorn, une biologiste néerlandaise perçoit très vite la dimension mythologique de la construction sexuelle avec ce qu’elle appelle le mythe du corps naturel. Elle questionne la science en tant que scientifique féministe et refuse la subjectivation de la femme d’un point de vue biologique. De même que Catherine Vidal a déconstruit les idées du sexe du cerveau, Nelly Oudshoorn, avec d’autres féministes biologistes, ont remis en question le sexe des hormones, une construction qui a permis de réifier les femmes, des êtres complètement contrôlés par leurs utérus, ovaires et finalement par leurs hormones.

Elle était intriguée par les mythes sexistes qui s’étaient accrochés au développement de sa discipline. Elle a ainsi décidé d’étudier les méthodes de recherche d’Ernst Laqueur, chef de recherche du laboratoire Organon (1923) et grand-oncle de Thomas Laqueur auteur de la fabrique du sexe. Ernst Laqueur a isolé l’hormone dite féminine dans les urines d’étalons ce qui pour son petit neveu soulevait déjà la possibilité d’une androgynie endocrine. En fait, ce trouble dans les hormones est particulièrement visible dans la littérature scientifique du moment. Les scientifiques comme Bernhard Zontek dans son article « Mass Excretions of Œstrogenic Hormone in the Urine of the Stallion » paru en 1934 dans Nature, se demandaient si les œstrogènes devaient être classées dans les hormones femelles puisque trouvées en large quantité dans les urines de juments gravides ou dans la catégorie hormones mâles, puisque les urines d’étalons en contenaient également en large quantité.

Le laboratoire Organon comprend que si les hormones sont sexuelles, elles rapporteront gros.

Les hormones étaient marquées du sceau du déterminisme sexuel, les femmes d’un côté et les hommes à distance pour observer, décider, dicter le sens de la science. Bien sûr, il ne suffit pas d’être homme pour suivre ce principe et les catégories sont bien plus fluides que cela. Néanmoins, les hormones présentaient un enjeu important. Le principe du mythe privant l’objet dont il parle, de son histoire, s’est appliqué aux œstrogènes, hormones stéroïdes c’est-à-dire élaborées à partir de l’hormone cholestérol, encore une hormone chargée de mythologie.

Les œstrogènes ont très vite présenté un enjeu sociétal et commercial ou vice versa tant les deux se mélangent.

Nelly Oudshoorn : « Nous n’avons pas trouvé les hormones sexuelles, nous les avons fait exister»

En conséquence, à partir de l’avènement des hormones, la ménopause et son aspect pathologique ont été définies par la disparition des hormones « féminines. » Disparition qui devait être remédié par le pouvoir médical. L’entrée dans l’âge critique était donc commandée par les hormones, les œstrogènes, la lumière était faite ! La fabrique de la femme vieillissante allait donc servir l’industrie des hormones.

En aparté, la cessation de l’ovulation n’est pas qu’un phénomène humain. Les femelles orques subissent le même sort, elles vivent en moyenne 40 ans de plus que les mâles, on n’observe pas d’attitude sexiste chez les orques pour autant.

Revenons à l’espèce humaine et son sexisme appliqué à la biomédecine.

Parmi les interviews menées pour cette recherche, l’interview de madame L est exemplaire. Madame L est bibliothécaire dans un hôpital universitaire aux Etats Unis. Elle décrit ce qu’elle appelle des symptômes de la ménopause. Des signes plutôt que des symptômes ? Son gynécologue lui a prescrit un antidépresseur. Mais ce qui s’est avéré important pour elle était le fait d’avoir atteint l’âge de la ménopause avec ses ovaires et son utérus, une première dans sa famille. De toutes les femmes de sa famille dont elle se rappelait l’existence, elle était la première à parvenir à la ménopause avec son utérus et ses ovaires. Elle se souvenait de sa grand-mère qui, dans les années 1960, avait dû demander l’autorisation pour son hystérectomie à son mari, dont elle était séparée depuis plus de 20 ans.

L’avènement du traitement pour rester jeune éternellement

La femme bourgeoise vieillissante change de statut avec les hormones, elle va maintenant devoir rajeunir, néanmoins son sort est toujours déterminé par le pouvoir marchand et patriarcal. Le traitement hormonal de la ménopause va naître avec les mythes de modernisation technologique, de contrôle du corps, abondamment nourris par des campagnes de marketing et de communication. La jeunesse du corps de « la femme », avec l’exigence de beauté éternelle normalisée, est maintenant à portée de pilule. Les femmes sont toujours à la fois objets et sujets. Mais comment savoir ?

Les œstrogènes stéroïdes sont toujours des cancérigènes de groupe 1, c’est-à-dire dont la cancérogénicité est avérée ou très fortement suspectée. Mais elles seront malgré tout la fontaine de jouvence pour « ce sexe destiné à faire le bonheur de l’homme » De Gardanne. On peut toujours lire sur certains panneaux d’affichage de bord de route états-uniennes des publicités pour des cliniques très privées qui proposent des traitements hormonaux complets aux femmes, arguant que « les hormones sont aux femmes ce que l’eau est aux plantes. » Les femmes sont toujours faites d’une substance différente et donc toujours disqualifiées par rapport aux hommes. Les femmes sont hormones !
Madame R aux Etats Unis avait confié lors de son interview qu’ayant un dysfonctionnement thyroïdien, elle avait des rendez-vous réguliers chez un médecin spécialiste. Une visite dans les années 1990 reste marquée dans sa mémoire. Elle était dans le cabinet pour sa consultation de contrôle pour sa thyroïde, et son médecin avait dû s’absenter. Restant seule et curieuse de nature, elle a lu les documents aperçus sur le bureau du praticien. Un mémo spécifiait que toutes les patientes devraient être mises en garde contre l’ostéoporose de la femme vieillissante. Effectivement, lorsque le médecin revint, il lui signifia que pour sa thyroïde tout était en ordre, mais qu’en revanche il était temps de se prémunir contre l’ostéoporose, affliction des femmes vieillissantes c’est-à-dire ménopausées, ce qu’elle était. Pour lui, il était temps d’envisager de commencer un traitement hormonal de la ménopause.

Madame L qui ne manque pas d’humour lui répondit immédiatement qu’il pourrait commencer par prescrire une corde à sauter ce qui serait certainement plus efficace et moins dangereux.

Décidément, les mythes se confondent avec la réalité.

Les recherches du mouvement féministe

L’histoire du traitement hormonal se rattache aussi à l’histoire du mouvement féministe.

La fonction mythique du terme ménopause a rendu plus difficile la déconstruction des narrations imprégnées de faux-savoirs scientifiques. Toutefois, les mouvements féministes aux Etats Unis, où, dès les années 1980, les traitements hormonaux ont été couramment prescrits aux femmes ayant des assurances de santé privées, ont commencé à s’organiser pour faire dérailler cette machinerie. Les effets néfastes du traitement hormonal étaient de plus en plus évidents, alors que le pouvoir politique de la biomédecine sur les décisions concernant le corps des femmes semblait ne rien vouloir céder. Déjà en 1975, des études étaient publiées mettant en cause ces traitements avec des conséquences catastrophiques pour les femmes, augmentation des embolies, occurrences augmentées de cancer du sein, etc.

Issue des mouvements féministes américains le Women’s Health Initiative (WHI), a lancé une large étude sur le traitement hormonal de la ménopause en 2002. L’étude a dû être interrompue par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en raison d’un nombre important d’accidents graves et de décès prématurés parmi les participantes à l’étude.

Quand Charles de Gardanne a formé le néologisme, il a suivi une construction « préscientifique » du corps des femmes fondée sur une certaine notion de la science en relation avec les rôles sociétales des hommes et des femmes et les rapports de force économique entre genres et classes. Le rôle mythologique du corps de « la femme » est donc à la base de la construction mythologique du néologisme ménopause. Ces interactions entre science et patriarcat ont été en constante négociation avec le sexisme ordinaire et ont faussé le rapport entre vie et santé des femmes et la biomédecine entraînant des conséquences réelles sur la vie des femmes. « Il est parfois plus facile pour une femme de tomber malade que de se révolter » déclarait Rina Nissim une gynéco-naturopathe suisse qui a passé sa carrière à dénoncer les abus de la biomédecine sur le corps des femmes. La fabrique de la femme vieillissante avec l’invention du néologisme « ménopause » relève de l’invisible évidence dont le sexisme fait partie aussi bien que de la connivence des choix économiques, politiques et de santé publique.