Les manifestations des fermier.es indien.nes portent les marques des questions féministes intersectionnelles

13 Jan 2021

Les manifestations des fermier.es indien.nes portent les marques des questions féministes intersectionnelles

Actuellement à New Delhi, en Inde, le mouvement de manifestation des fermier.es, se veut littéralement être considéré comme une lutte féministe intersectionnelle.

Les dernières lois du gouvernement indien visant à donner plus de pouvoir aux milliardaires ne sont pas acceptées par la population paysanne du Pendjab. Ils pointent du doigt la colonisation du secteur agraire par le gouvernement, donnant toujours de pouvoir à ces mêmes milliardaires qui détiennent déjà les richesses de ce pays pauvre depuis la fameuse libéralisation économique des années 1990.

Pourquoi cette manifestation porte-t-elle les marques des questions féministes intersectionnelles? Seulement les hommes fermiers, les hommes manifestants et les hommes prenant la parole, apparaissent dans les médias relayant l’information. Mais où sont les femmes ? D’autant plus que l’État du Pendjab ne les respecte pas, entre l’élimination des bébés filles, les violences contre les femmes et les grandes inégalités de revenus basé sur le genre. Les fermières indiennes sont très peu montrées dans les médias, alors qu’elles font pratiquement le même travail que les hommes, semer, récolter, vanner, battre le grain.

Parmi la vague de suicides des paysans répertoriés au cours de la dernière décennie; les paysannes aussi se suicident, ces suicides font aussi partie des statistiques et pourtant elles ne font pas la une des journaux. D’après Mme Surbhi, « sur un total de 8007 suicides de paysan.nes en 2014, 441 étaient des paysannes ». Par ailleurs, les femmes sont d’autant plus touchées par les suicides des hommes, puisqu’elles sont les seules à soutenir leurs familles et ne reçoivent aucune aide sociale du gouvernement. Largement sous-estimées, ces fermières sont pourtant les piliers de l’économie du pays.

Quelle est la réalité de terrain lors de ces manifestations à New Delhi ? Des femmes de tous les villages et villes du Pendjab se sont rendues à Delhi pour revendiquer. Lorsqu’une femme manifeste, elle parle au nom de toute sa famille et de tout son village de paysan. nes. Ces femmes informent le public sur les préjugés à l’encontre des fermières qui sont encore appelées « ouvriers agricoles ». Elles sont bien moins payées, sous équipées et exposées à des produits toxiques. Par ailleurs, cela ne les empêchent pas de travailler aussi dur que les hommes.

Les fermier.es manifestent non seulement contre le manque de contrôle sur les prix de leurs pro-duits, mais aussi contre la pression des industriels à utiliser des OGMs. Dans un récent message sur Twitter, Vandana Shiva déclare : « En 1984, les paysan.nes du Pendjab protestaient contre la #GreenRevolution, ils disaient que si vous ne pouvez pas choisir ce que vous cultivez ou comment vous le cultivez, ce sont des conditions d’esclavage. Ils en ont d’ailleurs déjà payé le prix avec les dettes, les suicides et un #CancerTrain ». Vandala Shiva fonde son activisme sur une compréhension intersectionnelle et transnationale des principes d’exploitation de la terre et de l’écologie.

Elle trace l’exploitation des plus vulnérables à partir du capitalisme et du colonialisme ; la terre, les femmes et les pauvres sont liés par ce système. Dans la même publicationTwitter, Shiva af- firme : « Personne ne mourait de famine en Inde en 1965 lorsque la Banque mondiale et le gouvernement américain ont imposé la #GreenRevolution au Pendjab, qui rappelons le, consistait à vendre les restes des armes chimiques de la guerre. De plus, les monocultures type OGM de riz et de blé nains imposées aux paysan.nes demandent dix fois plus d’eau ». Voici un exemple de colonialisme économique encore en activité, qui n’a pas faibli depuis 60 ans bien au contraire, il s’est accru. Comme Shiva et d’autres militantes féministes le voient, seulement un regroupement mondial de fermier.es pourrait avoir un impact sur les gouvernements, qui sont toujours soumis aux intérêts de l’agro-industrie.

Ces femmes militantes qui font partie de la grande lignée d’activistes paysannes dans l’histoire de l’Inde, ne protestent pas seulement contre le modèle de développement de l’État indien, mais sur-tout contre le patriarcat et le capitalisme. Actuellement, des organisations telles que Mahila Kisan Adhikaar Manch (MAKAAM) sont sur le terrain pour faire entendre la voix de ces fermières. Dans d’autres régions de l’Inde, il existe des mouvements populaires tels que la Société pour l’Éducation et le Développement Rural (SRED) de Fatima Burnad. La SRED lutte contre l’oppression des Dalits et des femmes actives et soutient les fermières dans le cadre d’un modèle intersectionnel. Aujourd’hui, les femmes Sikhs aux États-Unis, au Canada et à Amsterdam descendent dans la rue pour attirer l’attention sur la dispersion de leurs familles issues de l’agriculture, à travers la diaspora. Comme le signale Ramanpreet Kaur, une des activistes Sikhs du Queens, à New York, « Même si vous n’avez pas un lien personnel avec les familles paysannes indiennes, c’est en tant qu’être humain vivant sur terre que vous devriez vous sentir concerné.es par l’exploitation de celles et ceux qui nous nourrissent chaque jours. »

Ces mouvements apportent des perspectives religieuses, de caste, communautaires et de genre dans la lutte pour les droits des paysan.nes. Ce que l’on retrouve d’ailleurs chez les agriculteurs Sikhs, car le Sikhisme en tant que religion, critique la discrimination des castes et les divisions religieuses. Les hommes et les femmes sont admiré.es pour leur esprit guerrier et leur générosité, et étaient tout aussi actifs les uns que les autres lors de la partition des Indes.

Au plus fort de la protestation, les fermier.es ont fait des dons de nourriture à tous les manifestants, ce qui montre bien leur esprit de solidarité malgré les mesures draconiennes qu’ils com-battent. De plus, ils veillent à ce que les médias ne transforment pas leur manifestation en un combat religieux, ou même la compare à la désastreuse manifestation du « Khalistan » des années 1980. Ils ne veulent pas être étiquetés comme anti-nationaux.

Finalement, la lutte des femmes paysannes pourrait devenir le pivot de tout succès dans ce der-nier mouvement de protestation paysan. Par ailleurs, les manifestations féministes à travers le monde soutiennent indirectement la lutte paysanne indienne, pouvant augmenter la pression sur le gouvernement indien afin de mettre en évidence le danger pour la nourriture, la terre, ainsi que pour la santé humaine et animale.

Crédit photo : Sharad Patil