Au LIBAN : une vulnérabilité croissante dans la crise actuelle

30 Nov 2020

Au LIBAN : une vulnérabilité croissante dans la crise actuelle

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Je marchais dans Hamra à Beyrouth quand une fillette de 4 ans couru vers moi. Ses petites mains étaient grandes ouvertes pour demander de l’argent. Je lui dis doucement de retourner vers sa mère, et elle se précipita vers elle, ses nattes se balançant d’un côté à l’autre. Je peux affirmer que c’est la première fois qu’elle mendiait ; car les enfants qui mendient depuis plus longtemps continuent d’insister pour avoir de l’argent. J’ai parlé plus tard à sa mère, Zahra. Elle me dit qu’elle est mère célibataire avec 4 enfants, qu’elle doit aussi s’occuper de sa mère qui vit avec elle et qui est malade. Ils sont de Homs, en Syrie. Son mari les a quittés il y a quelques années, il est retourné en Syrie et elle n’a plus eu de nouvelles depuis. Elle ne reste pas longtemps dans la rue, juste assez pour toucher le loyer mensuel de 300 000 livres libanaises (LBP) – avec l’économie actuelle, cela équivaut à 40 dollars américains. Elle me dit que « personne ne veut rester dans ces rues à moins d’y être obligé ». Elle dit qu’elle travaille le matin à nettoyer les maisons mais qu’il est impossible de gagner assez pour le loyer.

Le Liban traverse actuellement une crise économique dévastatrice qui a commencé l’année dernière autour du mois de janvier avec la fluctuation de la livre libanaise, qui atteint souvent 9 000 LBP pour un dollar américain ($), alors que le taux de change initial était de 1 500 LBP pour un dollar américain. Cela s’ajoute à la tourmente générale et aux luttes causées par la demande de changement politique, la COVID-19, et l’explosion chimique dans le port de Beyrouth le 4 août. Le revenu qui permettait l’achat de produits de première nécessité à une famille comme celle de Zahra, n’assure plus le minimum. En conséquence, les réfugiés syriens qui se trouvent au Liban connaissent davantage de difficultés et d’oppressions avec la crise actuelle. Il y a des citoyens syriens qui ne peuvent pas voyager – en Europe ou aux États-Unis – ni retourner en Syrie parce qu’ils n’ont pas de documents légaux ou sont en exil à cause du gouvernement syrien.

Le Liban accueille plus de 120 000 travailleurs migrants originaires de pays d’Afrique, d’Asie et d’Europe de l’Est comme la Sierra Leone, le Kenya, le Sri Lanka, le Népal, les Philippines et la Russie, et environ 1 700 000 réfugiés de pays voisins comme la Syrie, la Palestine, l’Érythrée, le Soudan et l’Éthiopie. Pour les réfugiés, le Liban est le pays proche le plus sûr. Le Liban a une forte demande de travailleurs migrants à bas salaire et fait malheureusement partie du système moderne d’esclavage. D’autre part, les travailleurs migrants sont leurré.es par l’image de prospérité des pays arabes. La situation actuelle du pays est ressentie par tous, mais le fardeau de la crise pèse surtout sur la vie des communautés les plus vulnérables et les plus défavorisées comme les migrants et les réfugiés ce qui les rapproche des familles libanaises les plus pauvres. Nombre d’entre eux sont sans papiers. Ils se sentent paralysés car ils ne peuvent pas aller de l’avant. Par exemple, Genet, originaire d’Éthiopie, est une mère célibataire sans-papiers au Liban. Son bébé a deux ans. Elle ne peut pas rentrer chez elle parce que son père l’a menacée de la tuer pour avoir eu un bébé hors mariage.

Sophia est une employée de maison à Beyrouth. Elle est originaire de Côte d’Ivoire. Elle dit que son employeur a cessé de lui verser son salaire de 200 dollars par mois il y a 7 mois. Elle devait être au travail 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Chaque fois qu’elle demandait son salaire, les employeurs la battaient et la menaçaient de l’accuser de vol ce qui la conduirait en prison. Lorsqu’elle a finalement donné un ultimatum demandant son salaire ou son départ, l’employeur lui a dit de faire ses bagages et il l’a jetée à la rue à quelques quartiers de là. Maintenant, elle attend d’être rapatriée mais, en attendant, elle dort chez plusieurs amis et travaille 4 heures par semaine, où elle est payée 10 000 LBP de l’heure, soit l’équivalent de 1,5 dollar américain. Ce travail à temps partiel occasionnel ne lui fournit même pas un jour de nourriture et il la met en danger d’être arrêtée, n’étant plus parrainée par un résident libanais dans le cadre du système de Kafala (parrainage) cela devient un travail indépendant classé comme un travail illégal pour les sans-papiers. Les libanais qui parrainent des migrants, traitent les droits de ces travailleurs avec nonchalance dans un État qui ne fait lui-même pas respecter les droits des non-citoyens. Le gouvernement libanais n’ayant pas adopté une position forte et cohérente sur les actions racistes et d’exploitation de ceux-ci.

Sinay est originaire de la Sierra Leone. Elle a quitté le domicile du parrainage initial en 2017 car, en plus du paiement irrégulier de son salaire, elle a été souvent battue. Elle envoie régulièrement de l’argent à ses 3 enfants restés en Sierra Leone sous la garde de son voisin. Elle a emprunté 500 dollars à un cousin pour payer son passeur, elle doit également rembourser cette dette. Sinay a essayé de trouver des emplois de freelance, mais avec le blocage de la COVID-19, elle a été forcée de rester chez elle. De plus, lorsque l’explosion s’est produite, elle s’est retrouvée sans abri. Une nuit, elle a été violée par deux hommes.

Alors que les travailleuses et travailleurs migrants se tournent vers leurs ambassades et consulats pour les secourir, on s’aperçoit qu’il n’y a ni sécurité ni soutien suffisant pour leur venir en aide. Nous avons pu le constater avec le nombre de femmes qui ont manifesté devant l’ambassade du Kenya pour demander qu’on les renvoie chez elles. L’aide à l’initiative étrangère a aidé des femmes à rentrer au Kenya. D’autres ambassades, comme l’ambassade éthiopienne, demandent que les travailleurs et travailleuses migrant.es paient leur vol de retour en dollars américains. Bien sûr, compte tenu des salaires extrêmement bas et des taux de conversion élevés, réunir les fonds est une tâche impossible. De plus, les ambassades sont souvent impliquées dans la traite et l’exploitation de leurs citoyens. Par exemple, le « visa d’artiste » est un accord entre le gouvernement libanais et les ambassades de pays européens comme l’Ukraine et la Russie pour recruter des femmes européennes comme danseuses dans des clubs au Liban. Elles sont souvent battues et sont forcées de travailler dans le trafic sexuel, leur passeport ayant été confisqué. Ce visa d’artiste légalise les activités criminelles des proxénètes et des gouvernements qui parfois les soutiennent ; les femmes sont ainsi piégées dans le trafic sexuel.

L’avenir proche s’annonce sombre pour les personnes prises dans le chaos des rapports de force politico-économiques . Les gens émigrent surtout par nécessité plutôt que par choix. Les migrations devraient être régies par des lois différentes afin de les rendre plus sûres et plus souples. Les travailleurs migrants doivent être inclus dans le droit du travail libanais et les réfugié.es doivent être aidés à reconstruire leur vie plutôt que de devenir dépendants du financement d’organisations. Les organisations doivent modifier leur dynamique de pouvoir et s’efforcer d’offrir à ces communautés des emplois pour aller vers l’autonomie. Nous devons aborder les problèmes auxquels ces communautés sont confrontées de manière plus diversifiée. Il existe de nombreuses initiatives et organisations de terrain qui travaillent à soutenir les droits de ces communautés. Actuellement, leurs efforts sont orientés vers la fourniture d’abris, de nourriture, de rapatriement, de soutien psychosocial, d’argent ou d’assistance juridique comme Egna Legna, KAFA (enough) Violence & Exploitation, SAWA for Development and Aid, Syrian Eyes et Bird of LYF. Pour plus d’informations sur leur travail et pour faire des dons, veuillez consulter leurs sites web.

Les noms ont été changé pour la protection des personnes qui ont témoignées.

Mona Ayoub membre de Women Included est artiste visuelle, militante des droits de l’homme et féministe et travailleuse sociale, qui travaille actuellement à Beyrouth, au Liban

(Photo Credit Hanging Man: Mona Ayoub) (Photo Credits: Nina Bazin)